J'ai voulu un film qui travaille la parole

 

Le dernier film de Jean-Gabriel Périot Nos défaites dresse un portrait de notre rapport à la politique, grâce à un jeu de réinterprétation par des lycéens d’extraits issus du cinéma post-68, associé à des interviews de ces jeunes acteurs. Comment appréhendent-ils le monde dans lequel ils grandissent et surtout, auraient-ils envie de le changer, de le détruire ou d’en construire un nouveau.

Nous recevions le cinéaste à l'occasion de la sortie de son dernier film documentaire Nos défaites, en salles le 9 octobre.

Extraits de l'entretien :

« Quand j’ai commencé à monter le film, j’ai eu envie de laisser tout ce que normalement on enlève : les débuts et les fins de plan, les moments où on se trompe un petit peu, parce que ça permet de voir le travail à l’œuvre. Il y a une espèce de chose très touchante qui se passe chez les lycéens à ce moment-là : on voit leur implication, le visage n’est plus le même et ça permet, à contrecoup, de voir le moment où ils deviennent comédiens. C’était quelque chose de très réconfortante pour moi, les petits bouts d’avant et les petits bout d’après. Ça me montrait leur investissement, leur énergie, et j’aimais beaucoup les voir changer. »

« Quand j’ai rencontré les lycéens, je n’avais d’idée du film à venir, j’avais juste envie d’un film qui travaille la parole. Je leur ai monté pas mal de documentaires axés sur la parole, dans des temps et des géographies très différents, avec des situations de vie également très différentes. Je voulais leur montrer des films où, normalement, des gens qui n’ont pas accès à l’espace public, trouvaient d’un coup des places dans le cinéma. »

« Dans ces interviews, j’ai découvert que finalement beaucoup de mots leur échappaient, même des mots que nous avions traversés ensemble. J’étais très surpris par le fait qu’il leur manquait du vocabulaire, et qu’on ne leur avait pas donné les concepts de base de la politique. Pour moi,  c’était très troublant, parce qu’il est très difficile ensuite d’articuler une pensée, de parler de ses désirs politiques si on ne possède pas les mots de base. Par chance, ils arrivent malgré tout à s’exprimer. La force de ces interviews, c’est de montrer cette contradiction, à savoir que d’un côté, on ne leur a pas donné les mots et que de l’autre, ils expriment très clairement le fait qu’ils pourraient lutter, que tout est possible dans la manière dont ils vont se poser face au monde. Ce n’est pas éteint et c’est très réjouissant. »

« J’ai un rapport à l’archive très vivant, pour moi, l’archive n’est pas du passé. Quand elle est remise au présent dans un nouveau montage, elle acquiert un aspect fantomatique, et ça crée des courts circuits entre le présent et le passé, ça se joue dans un endroit qui est assez indéterminé, qu’il est très difficile de mettre en mots. J’aime beaucoup cet indéterminé-là, c’est un autre rapport au savoir et au réel. Faire des films de montages, où je ramène les archives au présent, et mettre ces jeunes corps vivants dans ces images, c’est comme créer une nouvelle archive qui me touche beaucoup, mais sur laquelle j’ai du mal à mettre des mots. »

 

Marie Richeux
France culture
8 octobre 2019
www.franceculture.fr/emissions/par-les-temps-qui-courent/jean-gabriel-periot